A 17 heures, nous arrivons au petit parking, après avoir fait tranquillement 17 km aller-retour. Et nous sommes encore une fois bien contents de trouver la voiture, au lieu de faire le long kilomètre de ligne droite qui mène au centre d'El Chaltén, encombré de randonneurs de tous les pays, qui avancent contre le vent glacial, ou poussés par lui.
Sur le chemin du retour, je me tords trois fois la cheville gauche. Ce n'est pourtant absolument pas le moment d'être immobilisée si loin d'El Chaltén. Heureusement, avec un peu de Synthol, tout rentre dans l'ordre.
Le chemin grimpe au-dessus du lac et traverse un bois de langas, puis débouche sur un petit camping. C'est un peu toujours le même binz et la même humidité sympathique...
Nous hésitons à bifurquer sur les Piedras blancas, car si la neige se met à tomber, les espaces découverts où passe le sentier pourraient vite devenir invisibles.
En redescendant, nous apercevons, perché sur une branche d'arbre mort, un magnifique aigle au bec jaune et à la poitrine cloutée d'argent – nous apprendrons à Ushuaia que c’est un caracara. Au-dessus de lui, un couple de vanneaux téro (Vanellus chilensis) fait des manœuvres d'intimidation en poussant des cris stridents (http://nalphi.canalblog.com/tag/vanneau%20tero). Ils sont remontés contre le caracara qui, lui, reste placide sur sa branche, les ignorant superbement (et nous avec). Nous restons un bon moment à l'observer, moi à faire des photos qui se révéleront floues; heureusement, à Ushuaia, Gérard me prêtera son Canon 70-200 mm f/2,8 et je pourrai alors l'enfermer dans la petite boîte pour le ramener à Paris.
Au bout d'un certain temps, lassé de nous voir sous son nez, il s'envole dans de lents battements d'ailes, réactivant la colère des vanneaux. Nous reprenons le chemin d'El Chaltén via la laguna Capri, aux eaux glaciales et battues par le vent.
Aucun emplacement particulier n'est prévu, pas de table, pas de banc, aucun abri. Je me demande s'il y a même des toilettes et Alain me montre un petit machin en métal qui doit effectivement en faire office. Le détail qui tue est cet avertissement : Interdiction de se construire un abri. Lorsque l'on sait que les conditions atmosphériques ici sont extrêmes, le vent par exemple se déchaîne avec violence, c'est à la limite du refus d'assistance à personne en danger. Le tout est en plus pourri d'humidité...
En attendant, le temps se gâte...
Les Chiliens ne soignent pas leurs campings. Et le campamento Poincenot ne fait pas exception. Seul un panneau avertit qu'il s'agit bien d'un camping car il n'y a absolument rien de prévu pour les campeurs. Le sous-bois est d'un binz inouï! Branches cassées, troncs pourris jonchent le sol dans un enchevêtrement incroyable.
Un pont de fortune, glissant à souhait, au-dessus d'un arroyo...
Les bois de langas (on dirait que c'est le seul arbre ou presque sous ces latitudes) succèdent aux prairies qui succèdent aux bois de langas. Avec toujours, en arrière-plan, le sublime massif du Fitz Roy.
Le chemin, que par endroits on dirait taillé à la bêche, pas plus de quarante centimètres de largeur, est maintenant un vrai bourbier. Soit la neige commence à fondre, soit elle a fondu depuis longtemps, formant des mares d'eau et/ou de boue épaisse et grasse. Il faut sans cesse faire de l'acrobatie pour éviter de s'enfoncer jusqu'à la cheville.
Nous avons remarqué que 80 % des gens croisés sur les sentiers ne disent pas bonjour, voire ne jettent pas un regard à la personne qu'ils frôlent. C’est insupportable, surtout pour moi qui le dis facilement à tout le monde avec un sourire. Et dans ces coins complètement perdus, ça passe encore moins. Les plus sympa, et de très loin, sont les Japonais.
Le glacier Las Piedras blancas
Je tente quelques photos avec le 17-85 mm que je ne me résous pas à abandonner définitivement, même si le bloc diaphragme a un sacré problème! L'autofocus est mort, et en manuel c'est la nuit noire dans le viseur. C'est donc à chaque fois la loterie. Quelquefois, ça marche à peu près, d'autres fois pas du tout.
Passé le premier émerveillement et de nombreux clics du grand angulaire, nous continuons en direction du campamento Poincenot.
longeant sur notre gauche le moutonnement épineux de la hierba negra, qui se lance à l'assaut des pentes depuis la limite de la ligne des arbres.
Du mirador, on a une vue superbe sur toute la chaîne des pics. C'est apparemment le lieu de la photo souvenir. Fitz Roy (Robert Fitz Roy [1805-1865], capitaine à vingt-trois ans du navire HMS Beagle – qui donna son nom au canal –, chargé de réaliser la cartographie des côtes d'Amérique du Sud) est entouré de Saint-Exupéry, Mermoz et Guillaumet entre autres.
Le chemin démarre raide par des marches de terre et de bois et grimpe pendant une heure et demie,
Zapatito de la Virgen (Calceolaria uniflora)
Nous trouvons tous les deux que cet endroit du parc est plus beau que Torres del Paine, malgré les lacs glaciaires (moins turquoise néanmoins que dans les Rocheuses canadiennes). Si l'on compare par exemple le sentier d'aujourd'hui au sentier du glacier Grey, ou à celui des Torres, il est beaucoup plus varié, on a constamment une vue superbe, soit sur le río Fitz Roy au-dessous qui se fraie un chemin dans un large lit de galets, soit sur les pics enneigés au-dessus. Même le sentier du cerro Torre caché dans les nuages laissait deviner des merveilles...
Comme le temps annoncé pour la journée est neige et pluie, je me recouche, persuadée qu'au réveil, c'est la grisaille qui nous attendra.
8 h 40. On ne s'est jamais réveillés si tard!! Et, chose extraordinaire, il fait toujours beau et il n'y a pas un souffle de vent!! Le temps de nous préparer, douches, petit déjeuner, sacs à dos avec entre autres deux bananes, quelques barres et un demi-litre d'eau – inutile de nous charger, à Los Glaciares comme à Torres del Paine les eaux descendent en droite ligne des glaciers et sont potables (et délicieuses) –, et de rejoindre le départ du sentier du Fitz Roy, il est un peu plus de 10 h 15.
Je m'habille en vitesse, prends la clef de la voiture et glisse la carte magnétique dans la fente de la porte d'entrée de l'hosteria... qui ne veut pas bouger d'un millimètre! Flûte! Je ne peux pas sortir! Je me rabats sur le balcon du salon mais déjà la lumière n'est plus là, la « Montagne qui fume » (El Chaltén en langue indienne) est grise, je la capture malgré tout, par-delà les toits.
J 19 - Vendredi 10 décembre
5 h 40. Je vais dans la salle de bains et quelque chose par la petite fenêtre, au-dehors, attire mon œil. Le Fitz Roy (3405 m) est éclairé d'une lumière rose par le soleil levant!! C'est un vrai choc! La voici donc, cette mystérieuse aiguille de granit qui se fait tant désirer et que je désespérais d'apercevoir! Je saute illico presto sur l'appareil pour le cas où elle aurait la mauvaise idée de disparaître avant que j'aie enfilé mon jean et filé dehors!
Patagonie australe
El fin del mundo ou le Pays du vent